Expression Nature, comprendre ce qui nous entoure pour mieux se découvrir
Patricia MEDIOGA, fondatrice d’Expression Nature, propose divers ateliers autour des trésors végétaux de La Réunion. Entre transmission des connaissances et découvertes ludiques, petits et grands sont conviés à embarquer dans l’univers fleuri de Patricia. Se réapproprier notre patrimoine végétal, comprendre comment les utiliser dans nos assiettes, pour notre bien-être et notre santé, c’est la mission d’Expression Nature.
Kissa ou lé? – Qui es-tu?
Je me définis comme une passeuse de trésor végétal, en allant à la rencontre des plantes de La Réunion pour comprendre ce qu’elles sont, à travers leurs super-pouvoirs. Ensuite, je fais beaucoup de recherches et d’expériences créatives, culinaires… Afin de mieux les connaître. Toutes ces informations récoltées sont transmises, à des enfants, à des adultes, à des gramouns*. Ce concept a aussi un fort ancrage culturel surtout lorsque je travaille avec les plantes lontan*, comme la rouroute (l’arrow-root) qui peut faire basculer les personnes dans le souvenir et la nostalgie.
*gramouns: personne agée, *lontan: d’antan
C’est quoi Expression Nature?
La structure a plusieurs objectifs: mieux connaître notre environnement proche et ouvrir le champ des possibles sur les super-pouvoirs des plantes tout en ayant une vue holistique de ces dernières (manger les feuilles, le tressage végétal, l’art des tisanes…). Depuis le COVID, les prises de conscience sont de plus en plus faciles, mais la peur peut freiner le passage à l’action, le passage à un mode de consommation plus végétal. Dans mon enfance, ma mère faisait beaucoup de tisanes, mais cette pratique peut se perdre avec le temps. On peut finir par oublier quelle plante utiliser, quand et comment. Finalement, le but, c’est de partager les connaissances sur les plantes, le savoir-faire qui va avec et de lever cette peur de l’utilisation.
Pourquoi ce nom?
Au fil de l’eau, ça a pris une double signification pour moi. J’aime balayer de manière globale les potentiels d’une plante, elle peut nourrir, servir notre créativité, soigner… C’est comme un miroir de nous-même, en tant que personne, on peut être mis dans une case alors qu’on est en réalité d’une richesse incroyable. Deuxièmement, avec le recul, je me rends compte qu’Expression Nature, c’est une thérapie pour moi. Plus jeune, j’activais systématiquement le mode caméléon, je ne m’exprimais jamais, dans toutes les sphères où je pouvais évoluer, je m’adaptais aux autres et à la situation. Je manquais d’estime de moi-même et je restais dans le silence. C’est donc devenu un besoin viscéral de pouvoir exprimer qui je suis. Transposé à notre culture locale, cela passe par comprendre qui on est, pour s’aimer simplement. Comprendre nos racines, s’ancrer pour mieux s’ouvrir aux autres. Toutes les activités proposées trouvent leur source dans le patrimoine végétale réunionnais.
D’où te vient cette envie de travailler sur le végétal et sa place dans notre culture, notre quotidien?
Ce qui est bizarre, c’est que je ne pensais pas être destinée à ça, mais avec le recul sur mon passé, mon enfance, je l’étais ! Toute petite, j’imitais ma mère en utilisant en cachette son pilon et son calou* pour créer des recettes avec des herbes du jardin et du safran, pour que ce soit réaliste, que ça ressemble vraiment à un carri*. J’ai appris récemment que certains de mes ancêtres, plus ou moins proches, étaient agriculteurs, donc j’ai quand même un lien avec la terre, les plantes nourricières. C’est le comestible, au-delà de la tisane, qui m’a toujours attiré. — Concernant mes études, j’ai un diplôme d’ingénieur en agroalimentaire, mais mon parcours professionnel m’a laissé croire ça ne me servirait à rien. En effet, j’ai travaillé dans le biomédical pendant 3 ans et dans l’automobile pendant 10 ans ce qui m’a permis de monter en compétences sur les aspects marketing et administratifs d’une entreprise. Mes études retrouvent finalement tout leur sens à travers Expression Nature, surtout sur les préparations culinaires.
Pourquoi le végétal ? Je ne pense pas que cela soit dû au hasard. J’aime le végétal, mon garçon m’appelle la tortue parce que mi mange rienk salade* ! Le véganisme ne me parle pas, mais je considère qu’un repas sans végétal n’est pas un vrai repas. C’est en grandissant, en découvrant la cuisine que j’ai développé ce goût du végétal. C’est le beau qui m’a d’abord attiré, les formes et les couleurs m’inspirent beaucoup. L’ancrage culturel est venu après. Ma première prise de conscience s’est faite pendant mes études où, pendant ma deuxième année, j’ai fait un stage en Australie. En allant là-bas, de manière naturelle, avec les amis, on s’exprimait plus en créole alors qu’on échangeait en français quand on était à La Réunion. Plus tard, lorsque je travaillais, je ne trouvais plus de sens à mon poste. Je n’étais pas alignée et j’ai trouvé du répit dans des lectures sur les plantes locales. J’ai eu un déclic en découvrant que l’on pouvait soigner la dysenterie en mangeant les feuilles d’ayapana. Ça a attisé ma curiosité et j’ai continué mes lectures pour me ressourcer. Puis, je découvre qu’une grande partie des plantes utiles pour soigner le diabète se trouvent sur l’île. Je prends conscience que premièrement, je ne connais pas mon île, et que, notre petit caillou, quasiment invisible sur une carte du monde, est végétalement riche.
Sur internet, je découvre un monde sur les plantes sauvages comestibles au fil de mes recherches. Je trouve beaucoup d’éléments français, européens, mondiaux, mais peu de choses sur la pharmacopée locale. Je pensais que le concept de la consommation des herbes sauvages n’existait pas à la Réunion puis je fais le lien avec les brèdes. Ici, on mange déjà beaucoup de feuilles, de manière naturelle, c’est notre premier pas vers la consommation d’herbes. Pour innover, j’aime bien partir de nos racines et nourrir l’expérimentation pour créer de nouvelles choses. C’est comme ça que j’exprime ma créolité et que je valorise notre patrimoine.
Quand je creuse le sujet en local, je me rends compte que ces plantes sont souvent rattachées à la misère donc ces informations sont presque taboues. Encore aujourd’hui, peu de connaisseurs sont prêts à partager leurs savoirs. J’ai trouvé très peu de portes ouvertes ou si elles l’étaient, l’absence de pédagogie ne facilitait pas l’acquisition de ces savoirs j’ai donc beaucoup appris toute seule avec une reconnaissance particulière pour ma mentore, la seule personne ayant bien voulu m’accompagner sur le chemin de l’apprentissage : Isabelle Hoarau-Joly, une femme reconnue sur le plan international pour ces travaux sur le végétal. À mon sens le savoir n’a de goût que s’il est transmis, je m’attache ainsi à transmettre tout ce que je sais au travers de mes ateliers.
*pilon et calou: ustensiles de la cuisines réunionnaise, *carri: préparation culinaire réunionnaise, *mi mange rienk salade: je ne mange que de la salade
Comment tu as eu l’idée de créer ce projet? Comment la structure a évolué?
Au départ, j’ai décidé de quitter mon poste en 2017 après avoir réalisé, pendant l’exécution de ce poste, des formations sur l’entrepreneuriat à l’IAE et les métiers de la cuisine. J’avais pour idée initiale de créer un bar à salades avec l’inclusion de plantes sauvages comestibles, des compositions originales, plus de racines et de localité dans l’assiette. J’ai toujours été attirée par la restauration, mais je me suis rendu compte, après plusieurs stages, que ce n’était pas fait pour moi. J’ai appris beaucoup de choses sur lesquelles je peux capitaliser aujourd’hui comme des techniques de mise en valeur des aliments. La formation de l’IAE m’a beaucoup apporté sur le plan du développement personnel, notamment à travers la découverte de l’ikigai… Je comprends donc que ce que j’aime, c’est transmettre, que la restauration classique, ce n’est pas fait pour moi. Je me dirige vers la création d’ateliers culinaires autour des plantes. Un puzzle désassemblé commence à se former. J’hésite à me lancer, par peur de l’entrepreneuriat, et me jette finalement à l’eau en mai 2018 en entrant en couveuse.
Tout s’enchaîne, je teste des ateliers de connaissance sur les légumes lontan, j’organise des entretiens avec des gramouns pour capter leur mémoire… La structure se professionnalise, je fais des formations complémentaires (pédagogie active, connaissance des plantes, l’art des contes…). Je crée les ateliers, je les enrichis au fil de mes expériences, de mes nouvelles connaissances. Depuis 2020, J’utilise le conte pour raconter la nature réunionaise et valoriser notre créole réunionnais, dont beaucoup d’expressions trouve leur source dans la nature. Avant, j’avais beaucoup de mal à écrire en créole, je n’y arrivais pas, je pensais en français et je trouvais ça malheureux. Après plusieurs ateliers fonnkèr*, rakontaz zistoiroires*, une meilleure compréhension de notre créole, j’utilise mieux cet outil qu’est notre langue pour faire passer le message de la nature.
L’exploitation des plantes dans le respect de notre environnement est possible. On essaye de travailler sur cette prise de conscience. En prenant l’exemple du longose, peste végétale à La Réunion, en s’inspirant d’autres populations, notamment asiatiques, on se rend compte que cette plante est utilisée comme ressource économique et alimentaire. On pourrait donc imaginer nettoyer nos forêts de cette peste tout en créant une nouvelle filière économique rentable et locale.
*fonnkèr: poésie, expression d’un sentiment, rakontaz zistoir: l’art de raconter des histoires
Quel est le petit geste que l’on pourrait appliquer en tant que citoyen ou professionnel pour vivre plus végétalement? Quels sont tes conseils?
Premièrement, prendre le temps de regarder, d’observer et de prendre ce temps de contemplation pour s’émerveiller devant la nature. C’est prendre le temps de s’apaiser et de se connecter avec le présent, ce que nous sommes, là, tout de suite. Notre place en tant qu’être, en tant que réunionnais.
Deuxièmement, c’est renouer avec nos traditions d’avant qui sont pleines de bon sens comme réapprendre à utiliser nos plantes et pouvoir les consommer en prévention pour protéger notre santé, en tisane, dans notre assiette. Remettre au goût du jour nos aliments lontan et effacer leur connotation parfois négative: se remettre aux légumes racines, ce n’est pas être misérable, c’est du bon sens, surtout que l’on commence à bien maîtriser les bienfaits de ces aliments-là. C’est plus un trésor qu’une contrainte.
Vous pouvez suivre les aventures d’Expression Nature sur Facebook et Instagram! Prochaines étapes pour Patricia, la réédition du livre Les trésors oubliés de nos jardins et la préparation d’un prochain ouvrage sur les sirandanes à partir de l’exploration des fruits et des légumes par les enfants.
Source des images: Expression Nature