La formation au service des transitions
La formation au service des transitions
C’est en famille que Florence Gillet, réunionnaise par le cœur et venue tout droit de Belgique, a décidé de mettre à profit ses compétences techniques au service du territoire. Avec son compagnon Laurent DENNEMMONT, il leur vient l’idée de créer un centre de formation autour du sujet des transitions. C’est le début de l’aventure des Tisserands.
Kissa ou lé?
Moi, c’est Florence Gillet. J’ai un parcours un peu particulier. Il y a trois ans, je suis arrivée à La Réunion, que je connaissais déjà puisque j’ai épousé Laurent, qui est tamponnais et j’étais donc déjà venue plusieurs fois sur l’île. On avait pour projet de venir s’installer à La Réunion depuis un moment déjà.
J’ai travaillé pendant 17 ans pour les Archives de l’État en Belgique en tant qu’archiviste, précisément dans la numérisation des archives. Quand on est venu s’installer, pour moi, c’était un peu l’occasion de faire une transition, de pouvoir changer de vie professionnelle, pas uniquement de lieu. J’avais envie de prendre ce moment-là comme un tremplin pour tenter d’autres choses. Cela faisait un moment que j’avais envie de tenter l’entrepreneuriat et c’était donc le moment idéal car je savais que si je me réinstallais dans un job salarié, cela aurait été plus compliqué ensuite.
C’est quoi les tisserands et pourquoi ce nom?
On voulait créer un centre de formation autour de la thématique de la transition. Pour nous, la transition, c’est vraiment quelque chose d’assez large. On parle souvent de transition environnementale, écologique. Dans notre paradigme, tout est lié. Autrement dit, on est vraiment dans une société où, si on veut faire évoluer les choses d’un point de vue environnemental, il faut que l’on change de postulat de départ : penser que le progrès, c’est avoir toujours plus et être dans l’abondance. Cette vision des choses doit changer. Le progrès aujourd’hui, c’est de viser la sobriété. Quand je dis « sobriété », l’idée n’est pas de revenir à l’époque des hommes des cavernes, mais d’aller vers quelque chose qui est juste et qui respecte le vivant, l’environnement qui nous entoure. On doit se demander comment on peut agir de manière juste, proportionnée, raisonnable, responsable dans cet environnement. La transition, c’est cette étape. On est en mouvement donc ce n’est pas un but en soi, c’est un mouvement vers quelque chose qui soit plus respectueux du vivant.
Par exemple, dans le monde de l’entreprise, des collaborateurs peuvent avoir une conscience écologique avancée, mais n’ont pas les moyens de l’exprimer au travail ou ne se sentent pas en sécurité pour pouvoir l’exprimer, à cause de la peur d’être jugé par leurs pairs entre autres. Le dialogue peut être cassé et empêche certains individus d’être eux-mêmes dans leur cadre professionnel. Travailler sur soi-même, apprendre à s’écouter, à se connaître et à relationner avec les autres permet ensuite à chacun de mieux vivre sa transition. Cela peut aussi aboutir à des remises en question et des changements de vision de la part de l’entreprise elle-même qui peut mieux intégrer une forme de sobriété tout en restant dans un modèle rentable. Au-delà des formations techniques, ces notions nécessitent d’être comprises dès le plus jeune âge, par le levier de l’éducation. Notre centre est en mouvement permanent pour ainsi être le plus large possible et couvrir un maximum de notions.
Le terme des tisserands prend plusieurs sens pour nous. C’est d’abord l’idée de tisser une toile pour créer un lien avec les individus. Nos formations sont basées sur la pédagogie active pour que les personnes se respectent entre elles, soient dans l’échange, avec la possibilité de s’exprimer sans avoir peur du jugement. Le but est de construire un savoir commun, de sortir du format où un intervenant vient avec ses connaissances qu’il transmet. L’échange doit se faire dans les deux sens puisque l’apprenant aussi a des choses à transmettre. Plus il y aura de liens entre les individus, plus les mouvements de transitions seront facilités selon nous, et ce, grâce aux différentes expériences. On veut aussi tisser un réseau de formateurs, de gens autour de la transition, qui vont pouvoir apporter chacun leur expertise, leur savoir, leur expérience. L’expérience est peut-être même plus importante à partager que le savoir théorique en lui-même.
On est en train de tisser un programme. Nous n’avons pas de bâtiment attitré, de salles de cours. C’est notre programme qui constitue notre entité. Il s’enrichit de nouveaux modules. Notre objectif était vraiment de partir de l’idée qu’on pouvait à la fois :
- Sensibiliser les gens aux enjeux liés à la transition,
- Initier des personnes sur une journée qui cherchent à avoir des bases sur certaines thématiques, mais qui n’ont pas le temps ou pas la volonté d’aller plus loin pour suivre des formations très longues,
- Former sur des temps plus longs et sur des sujets plus spécifiques.
De manière générale, on retrouve deux grands groupes cibles :
- Les apprenants qui veulent changer de métier et s’aligner aux transitions sociétales,
- Les entreprises qui souhaitent avoir en interne des ambassadeurs des transitions qui auront pour rôle de rendre le business plus résilient.
Pourquoi travailler sur les transitions?
En 2019, un an avant notre grand départ pour La Réunion, on s’était lancé en famille dans un défi qu’on avait appelé « Rien de neuf en 2019 ». Pendant une année entière, on a décidé de ne rien acheter de neuf. L’objectif était vraiment de revoir nos modes de consommation, au moins notre rapport à la consommation et de tester d’autres choses, c’est-à-dire l’achat de seconde main, la location, le prêt, voire renoncer à acheter en se posant la question de nos besoins réels. Cette année a été assez cruciale parce que jusque-là, c’était surtout Laurent, mon conjoint, qui avait été moteur par rapport à notre engagement environnemental. Et pour ce défi, c’est moi qui ai été le moteur et ça a été vraiment une année super parce qu’on a exploré plein de choses avec les enfants. C’était très ludique.
En quelques mois, je me suis dit que je ne pouvais plus continuer dans ma vie professionnelle à être complètement imperméable à ce qui se passe dans le monde et à faire comme si de rien n’était. Je travaillais beaucoup dans le numérique et j’ai commencé à ce moment-là à m’intéresser à l’impact que pouvait avoir le secteur d’un point de vue environnemental, en posant la question de savoir ce que je pouvais faire à l’échelle de ma vie professionnelle pour faire avancer les choses. Je n’avais pas forcément envie de changer de métier.
Quand on est venu s’installer à la Réunion, c’était un de mes objectifs de développer ces compétences et de pouvoir, dans les accompagnements que j’allais proposer autour de la gestion des documents et des données numériques, avoir cette approche de numérique responsable.
Une fois arrivés, nous avons vraiment créé une dynamique commune au sein de notre famille, surtout entre mon conjoint et moi-même. C’est très important pour nous puisqu’il y a vraiment un lien entre notre vie privée et notre vie professionnelle qui s’est mis en place. Cela permet de mettre en valeur le fait que nos actions professionnelles viennent porter notre envie de faire avancer notre île.
Cela a pu se faire à travers le sujet de la formation. Notre envie commune a été de travailler sur des pratiques concrètes liées aux transitions et de les partager. Autour d’un moment informel, on s’est lancé dans cette idée de créer un centre de formation sur la transition. Le but était de démarrer avec nos compétences, donc le compost et le numérique. Mais en réalité, la transition ce n’est pas que ça et la deuxième phase a été de réfléchir à comment on pouvait élargir les thématiques et créer un centre le plus complet possible.
Notre expérience dans le domaine de la formation était assez limitée. Nous avions déjà donné quelques formations et nous nous étions formés en pédagogie active mais la notion même de centre de formation ne nous était pas spécialement familière. Par ailleurs, nos expériences s’étaient déroulées en Belgique. Il a donc fallu s’adapter au moins au contexte juridique français pour ce type de structure. Quand nous sommes arrivés à La Réunion, nous avons démarré avec des missions de conseil sur nos thématiques respectives, ce qui nous a permis de rapidement gagner notre vie et de développer notre réseau. Notre centre de formation Les Tisserands était plutôt une activité annexe. Mais progressivement, la logique est en train de s’inverser et nous consacrons de plus en plus de temps au développement des programmes de formation, l’intérêt étant de conserver l’équilibre entre les deux car les formations que nous donnons se nourrissent aussi de notre travail sur le terrain en tant qu’experts dans nos domaines.
Avec toutes les possibilités qui existent, pourquoi avoir choisi le levier de la formation?
Je suis assez pessimiste concernant l’état actuel des choses : je sais que si on ne change rien, on va droit dans le mur. Je reste une personne pourtant très optimiste, car j’ai confiance en l’humain, en tous ceux qui veulent faire bouger les choses.
Le levier de la formation a été choisi pour trois raisons :
- De manière pragmatique, dans mon activité de conseil, j’avais une forte demande pour monter en compétence sur les questions de transition numérique dans les entreprises et les collectivités que j’accompagnais. J’ai voulu répondre à ce besoin en proposant des formations. C’est une complémentarité qui me plaît et qui me semble importante.
- J’aime me former, cela fait partie de mes valeurs. Cela développe plusieurs aspects connexes comme la confiance en soi, la satisfaction de savoir et je trouvais ça important de le proposer aux autres.
- D’un point de vue plus philosophique, il est très facile d’inciter les individus à passer à l’action, mais cela demande des compétences. Si on ne t’a jamais appris à gérer ta boîte mail ou à faire un bon compost, ce sera plus difficile pour toi de t’y mettre sans accompagnement et sans connaissance. Le problème ne vient pas toujours du manque de motivation, mais souvent d’une incapacité à faire, de ne pas savoir par où commencer. La formation est une façon de surmonter les freins que l’on peut avoir pour entamer une transition. Si on prend le numérique par exemple, l’objectif sera de comprendre son fonctionnement pour, à la fois, en avoir un usage plus sobre, mais aussi l’utiliser à son avantage.
Il n’est pas facile pour tous d’avoir les moyens d’investir dans des formations. Quelles sont les possibilités qui s’offrent aux citoyens, aux employés et aux entrepreneurs pour passer à l’action à travers la formation?
C’est vrai que ce type de prestation a un coût. Mais il y a plusieurs options possibles pour pouvoir financer une formation grâce au fait que Les Tisserands soient certifiés Qualiopi. Même si cela demande un certain investissement administratif de notre côté, cela permet d’ouvrir des portes à des financements pour de nombreuses structures. Les salariés et les chefs d’entreprise peuvent mobiliser leur OPCO.
On voit que de plus en plus d’organisations investissent également sur fonds propre pour former leurs équipes à la transition, d’autant plus quand celles-ci ont une politique RSE bien ancrée ou s’il s’agit de former sur des compétences métier comme le compostage. Le bien-être au travail est aussi un sujet de plus en plus présent.
Pour les particuliers, c’est beaucoup plus compliqué. Soit ils sont dans une démarche de transition professionnelle ou de remise à l’emploi et dans ce cas, ils peuvent éventuellement mobiliser France Travail, soit ils doivent mettre eux-mêmes la main au portefeuille. Pour nous aussi, c’est plus compliqué de proposer des formations aux particuliers car cela demande plus d’investissement et les formations doivent être organisées de préférence le samedi pour les gens qui travaillent en semaine. Même les canaux de communication doivent être adaptés. Ce n’est donc pas notre priorité pour l’instant. La formation professionnelle destinée aux entreprises et aux collectivités reste plus rentable dans notre modèle, c’est pour cela que l’essentiel de notre activité leur est destiné. Ce n’était pas une évidence dès le départ, mais c’est ce qu’on retire de notre expérience. La seule exception que nous avons faite pour le moment, c’est grâce au budget d’initiative citoyenne (BIC) développé par le Département de La Réunion. Nous avons eu l’occasion en effet de collaborer avec l’association A-Ton-Tour pour développer des ateliers dans les collèges et les lycées sur le cycle de vie du smartphone.
Les principaux freins que nous avons identifiés sur le marché sont :
- L’idée que se former à la transition est quelque chose d’annexe, de superflu et de non élémentaire par rapport à l’acquisition de compétences pour pouvoir par exemple utiliser un logiciel. Il faut donc déconstruire cette idée pour montrer que si l’on veut faire évoluer les métiers vers un plus grand respect du vivant, il est essentiel également de faire évoluer la façon de les enseigner et donc agir sur la technicité.
- Le fait de repartir avec plus de questionnements que de réponse peut aussi déstabiliser les apprenants. En effet, certaines formations bousculent les idées reçues et les valeurs des individus avec comme conséquence une remise en question profonde de leur façon d’exercer leur métier.
- La longueur des formations car tout changement se fait nécessairement sur une période longue et cela implique donc de dégager plusieurs jours pour pouvoir se former. Or, les salariés et les agents des collectivités ont des semaines déjà bien chargées. Dégager du temps pour acquérir de nouvelles compétences puis ensuite les mettre en œuvre, leur paraît souvent compliqué.
En conclusion
Il y a quand même une dynamique globale autour de la formation à la transition. Entre le moment où on a créé le centre et aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. Dans le cadre des études supérieures par exemple, l’Université de La Réunion montre une vraie ambition de former tous les étudiants aux sujets de la transition écologique et environnementale. Cette thématique est cruciale puisque, une fois formés, ces étudiants, qui sont de futurs professionnels, auront la possibilité d’instaurer des actions pour la transition depuis l’intérieur, au sein des entreprises dans lesquelles ils seront accueillis. La compétence deviendra donc interne.
Je pense qu’on est dans un moment charnière et que dans les années à venir, il va y avoir vraiment beaucoup de demandes par rapport à ces questions-là. Il y a donc un intérêt certain à développer une offre et à rendre visibles les intervenants qui sont en capacité de donner des formations.
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Source des images: Les Tisserands